Juliette Gréco, célèbre aussi pour son interprétation de Belphégor à la télévision, est morte à l’âge de 93 ans, mercredi 23 septembre « entourée des siens dans sa tant aimée maison de Ramatuelle. Sa vie fut hors du commun », a indiqué la famille dans un texte transmis à l’AFP.
Sa tournée d’adieux entamée en 2015 s’appelait tout simplement Merci ! A 88 ans, malgré sa fatigue, Juliette Gréco avait décidé de revenir sur tous les lieux marquants de sa longue carrière démarrée en 1949. Elle voulait remercier une dernière fois ses admirateurs de lui avoir donné tant d’amour. Son mari, Gérard Jouannest l’accompagnait au piano. Elle devra renoncer à cette tournée en mars 2016, à Lyon, après un accident vasculaire cérébral. Immense interprète, la dame en noir aura chanté jusqu’à la limite de ses forces. Avec ses yeux de chat surlignés d’eye liner, sa silhouette longiligne, ses robes et ses pulls noirs moulants, Juliette Gréco avait une allure folle. Cette jolie môme, à la fois légère et grave, était aussi une femme infiniment libre.
Née le 7 février 1927 à Montpellier, Juliette est la fille d’un policier d’origine corse, Gérard Gréco, et d’une bordelaise, Juliette Lafeychine. Après la séparation de ses parents, elle et sa soeur aînée Charlotte seront élevées à Talence par leurs grands parents maternels. « Toutoute », son surnom, est une fillette réservée. Après la mort du grand-père en 1936, sa mère récupère ses deux filles et s’installe à Paris.
Juliette entre à l’Ecole de danse de l’Opéra, sous les toits du Palais Garnier. Quand la guerre éclate en 1939, la famille trouve refuge dans le Périgord. Engagée dans la Résistance, sa mère est arrêtée en septembre 1943 à Périgueux. Elle est déportée avec sa soeur Charlotte au camp de Ravensbrück. Juliette, qui n’a que 16 ans, échappe à la déportation mais elle est incarcérée à la prison de Fresnes.
Quand elle est libérée, elle contacte la seule personne qu’elle connaisse alors à Paris : la comédienne Hélène Duc. Cette amie de sa mère fut aussi son professeur de français à Bergerac. Elle accepte de l’héberger. Auprès de cette femme engagée qui sauva des juifs pendant la guerre, Juliette Gréco découvre l’art dramatique. Elle échoue au concours d’entrée au Conservatoire mais décroche quelques rôles de figurante à la Comédie Française. En 1945, sa mère et sa soeur reviennent de déportation. Les trois femmes repartent en Dordogne. Puis, quand leur mère s’engage dans la marine, les deux soeurs reviennent s’installer à Paris. Un Paris libéré, bouillonnant.
A Saint-Germain-des-Prés, Juliette croise de nombreux intellectuels. Les contacts sont faciles. « Je n’avais qu’à aller au bistrot, j’allais boire un café au Montana et là, je rencontrais des gens comme Raymond Queneau, comme Sartre, comme Camus, comme Merleau-Ponty, racontait-t-elle. Et si je voulais parler peinture, il y avait des gens comme Picasso ». Elle fréquente aussi des cabarets comme Le tabou et des clubs de jazz. Juliette vit de petits boulots. Intelligente et vive, elle devient l’hégérie de Saint-Germain-des-Prés.
En 1949, elle se produit sur la minuscule scène du cabaret Le Boeuf sur le toit avec des chansons écrites par ses amis Boris Vian, Jean-Paul Sartre ou encore Jacques Prévert. Sartre écrit le texte de Rue des Blancs-Manteaux sur une musique de Joseph Kosma. Au dos de son premier 33 tours, il écrivait « Gréco a des millions dans la gorge : des millions de poèmes qui ne sont pas encore écrits, dont on écrira quelques-uns ». Le romancier et poète Raymond Queneau lui offre Si tu t’imagines, l’un de ses premiers succès. Sa voix chaude et sensuelle envoûte le public.
La même année, Cocteau lui offre un rôle dans son film Orphée. Juliette tombe amoureuse de Miles Davis, un trompettiste noir américain. Leur liaison fait scandale mais peu lui importe. Juliette est une antiraciste convaincue et militante. « Avec lui, témoignait-elle dans Gala, j’ai vécu une histoire d’amour, violente, forte, qui a duré toute sa vie ». Il refusera qu’elle le suive aux Etats-Unis. Dans ce pays où les mariages mixtes étaient encore interdits, il ne voulait pas qu’elle passe pour « une putain ».
Le titre du premier disque de Juliette Gréco, enregistré en 1951, ressemble à un manifeste : Je Suis Comme Je suis. Elle chante: « J’aime celui qui m’aime, est-ce ma faute à moi, si ce n’est pas le même, que j’aime chaque fois ? ». Elle reçoit aussi le prix de la SACEM pour la chanson Je hais les dimanches, écrite par Charles Aznavour.
Le 25 juin 1953, Juliette épouse le comédien Philippe Lemaire qu’elle a rencontré sur le tournage du film de Jean-Pierre Melville Quand tu liras cette lettre. Leur fille Laurence-Marie naîtra l’année suivante, mais ils divorceront rapidement, en 1956. Elle vivra ensuite une romance avec le producteur américain Daryl Zanuck, son aîné de 30 ans. Juliette tourne plusieurs films à Hollywood et rencontre de grands réalisateurs de l’époque : Orson Wells, John Huston, Henry King ou encore Richard Fleischer.
A son retour en France en 1961, elle chante à Bobino après avoir triomphé en 1954 à l’Olympia. Elle interprète les chansons de nouveaux auteurs qu’elle veut faire découvrir: Jolie môme de Léo Ferré, Il n’y a plus d’après de Guy Béart et des titres de Serge Gainsbourg qui écrira pour elle La Javanaise en 1963. Elle chante aussi Jacques Brel dont le talent la fait tomber à la renverse. En 1965, Juliette Gréco épouse le comédien Michel Piccoli. Leur union durera 12 ans.
Sous le masque de Belphégor, un fantôme qui hante la nuit le département d’égyptologie du Louvre, Juliette Gréco terrorise les petits français. Cette série télévisée de Claude Barma, adaptée d’un roman d’un roman d’André Bernède, connaîtra un succès extraordinaire en 1965. Dans les cours de récréation, les magasins, sur les marchés, on ne parle plus que de Belphégor, alias Juliette Gréco.
Trois ans plus tard, au Théâtre de la Ville, elle crée l’une de ses chansons iconiques Déshabillez-moi. Un monument de sensualité à une époque où le désir et le plaisir féminins étaient encore tabous.
Elle sollicite alors le pianiste de Jacques Brel, Gérard Jouannest pour qu’il l’accompagne dans une tournée au Canada. Leur collaboration va durer plus de 40 ans. Ils finirent même par s’épouser en 1989. Si sa carrière s’essouffle un peu dans les années 70 et 80, Juliette Gréco n’a jamais quitté la scène. En France comme à l’étranger, elle se produit dans les plus grandes salles et dans les festivals notamment au Printemps de Bourges.
Victime d’un malaise sur scène en 1991 puis d’un accident cardiaque en mai 2001 à Montpellier, jamais elle ne renoncera à chanter. Jusqu’à sa tournée d’adieux en 2016, elle s’est battue pour faire vivre sur scène, avec sa gestuelle et son phrasé si particuliers, les mots des auteurs qu’elle vénérait. Juliette Gréco restera une inoubliable interprète.